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À Mostar, en Bosnie-Herzégovine, il y a un pont célèbre pour être mort pendant la guerre et pour avoir ressuscité ensuite. Un Jésus-soldat de l'architecture. Stari Most, son nom. Comme j'ai l'anglais sur le bout de la langue et partout dans la tête depuis que je suis parti, je n'ai pu m'empêcher de traduire et d'inverser son nom, arrivant ainsi, avec un maigre effort intellectuel, à un rebaptême : Most Starry, "Le plus étoilé." Le même petit jeu m'a permis de renommer Mostar "La Ville avec le plus d'étoiles" (Most Stars).

J'ai vite réalisé, en débarquant du bus et en déambulant dans les rues, que Mostar était bel et bien une ville-constellation. Seulement, ce sont des trous de balles qui jouent le rôle des étoiles dans cette ville endommagée. En passant ma main près des murs au relief encore frais de la guerre, je ne pouvais m'empêcher d'entendre l'écho silencieux des armes se déchargeant sans arrêt. À cet époque, 1993, enfant Franck se battait avec son ombre pendant qu'ici, on se battait avec des bombes. Plusieurs bâtiments, encore intacts dans leur destruction, rappellent au touriste à l'esprit léger que l'histoire ici pèse encore lourd.

Assis dans un café près du fameux pont, site du patrimoine mondial de l'UNESCO, je regarde les locaux téméraires plonger dans la rivière Neretva sous les encouragements des touristes en quête de divertissement. Et chaque fois qu'ils sautent, leurs plongeons se transforment en bombes, et je vois, avec mes yeux piquant de sueur, le pont s'écrouler puis se rebâtir en un éclair. Il y a quelque chose de poétique, quelque chose de plus profond dans ces sauts que le simple amuse-touriste. Je me demande si un de ces touristes, l'œil collé à son objectif, pense la même chose que moi, les lèvres collées à une minuscule tasse de café.

Les ruelles étroites entourant le pont débordent de boutiques-souvenirs toutes plus exotiques les unes que les autres : tissus, pendentifs, bibelots, porte-clés, etc. On y vend aussi des balles de fusil, des colliers faits de balles de fusil et des avions faits de balles de fusil. Je crois qu'on y vend une version diluée de la douloureuse histoire qu'est celle de ce pays. Dans l'espoir que Mostar et ses habitants finissent par mieux briller, dans cette nuit d'après-guerre qui tarde à s'éclipser.