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Avais-tu les mains sur le volant, juste avant de partir? Pendant que le gaz s’infiltrait en silence dans l’auto, étais-tu conscient d’où tu t’en allais? Une dernière ride de char, avec tes quatre pneus immobiles, pis ton moteur qui tournait. À quoi tu pensais? Pensais-tu à nous, pensais-tu à moi? Une dernière ride de char, allé simple pour l’autre côté. Pendant que le gaz s’infiltrait lentement dans ton système, nous voyais-tu? Me voyais-tu? T’imaginais-tu que ton fils serait encore là à taper sur son clavier pour te parler, 13 ans plus tard? Y fallait ben un 26 septembre pour me sortir de mon silence.

T’es-tu dit que j’allais m’en remettre, que j’avais ce qui fallait dans les tripes et dans le coeur pour rattraper mes sourires? Sûrement pas. Tu pouvais pas savoir que j’aurais peur que tous ceux que j’aime suivent ton exemple et lèvent le camp sans avertissement. Que ça serait une foutue épreuve de faire confiance, d’aimer comme du monde. Une dernière ride de char; des fois j’aurais aimé ça que tu m’emmènes. Comme ça j’aurais pas eu à saigner et à pleurer autant. J’aurais pas eu à essayer de trouver mon chemin à travers un labyrinthe de douleur pis de doutes. J’aurais pas causé autant de dommage sur ma route.

As-tu entendu la mort t'accueillir avant de fermer les yeux pour de bon? Parce que moi je l’entends depuis 2001. Elle me chuchote dans l’oreille, chaque jour, pour me rappeler que c’est elle qui va finir par gagner. Pis des jours elle chuchote tellement fort que j’ai de la misère à y voir clair. J’ai commencé à mourir à petit feu dès que t’as tourné ta clé. À 11 ans j’ai compris que c’était pas un compte de fée, et que je pourrais jamais récrire la fin, même si j’essayais toute ma vie. Une dernière ride de char, à zéro kilomètre à l’heure.

Sais-tu quoi? Je suis fatigué de crier devant une tombe muette, chaque année. Je suis fatigué d’essayer de pardonner et d’accepter. Je suis fatigué de me battre avec l’anxiété pis mes démons poussiéreux. T’as rien laissé derrière, ça fait qu’aujourd’hui je te le demande : envoye-moi toute la force que t’as jamais eue. Envoye-moi tous les morceaux de ton coeur brisé, je vais m’arranger avec ça, je vais trouver un moyen de les souder sur le mien. Je vais le faire battre pour deux mon coeur.

La paix que t’es allé chercher, elle a laissé derrière une guerre que je mène non-stop. Mais j’ai pas encore perdu, y me reste du souffle en masse. J’ai les deux genoux ouverts à force de tomber par terre. Mais j’suis encore debout. J’suis encore là. J’suis encore vivant, que la mort me chuchote dans l’oreille ou pas. J’suis encore debout, pis je vais mourir de même, debout. Pas question que je m’en aille comme toi. Ma dernière ride de char, je la ferai ben vieux, avec plus un poil sur la tête. Ma dernière ride de char, je la ferai en tenant la main d’une fille que je vais avoir aimé comme du monde longtemps, que j’aurai pas abandonnée. Ma dernière ride de char, je la ferai avec une main ridée posée sur le volant, en me disant que j’aurai jamais laissé tombé l’espoir. Que j’aurai empêché la mort de gagner le plus longtemps possible.